EN Présentation

L'étonnement des rapports sociaux est la pierre d'achoppement créatrice des projets de la Cie Instincst Grégaires.

Constamment surprise d'être étonnée, La Cie n'a de cesse de se prendre les pieds dans le tapis en questionnant l'implicite de nos quotidiens.

Le banal est réellement ce bel étranger, quotidien non familier qui nous inquiète et nous attire. D'aucun.e.s se fendent de l'avoir apprivoisé, de ne pas s'en soucier, ou encore de ne l'avoir jamais recontré. Certain.e.s afficheraient même une posture décontractée, une aisance civile, une âme de routier de la vie.

Tant pas que ça dissimulées par d'apparentes thématiques existentielles sans retour - Qu'est-ce que la vie si ce n'est ne pas encore être mort.e? Comment devient-on femme? Qui dit"Je"... quand je dors, est-ce la même personne qui s'exprime? - les projets de la Cie Instincts Grégaires interroge le sens des évidences pour se jouer de la singulière théâtralité de nos vies, petites histoires sommes toutes pas si banales.

Les créations se densifient autour de phrases toutes faites, parfois muettes, celles façonnées avec gêne, fugacement dites. D'autres tranchent, s'imposent, sentencieuses. Des expressions courues, des anecdotes anachroniques, des mots que l'on dits pour en évoquer d'autres que l'on taits. La Cie s'empare de tranches de vie pour tisser une fresque sensible, visuelle et sonore où corps, espace et matières mettent en tension la complexité de ce qui nous apparait absurdément évident si on n'y prenait pas bien garde:

l'étrangeté d'être vivant.e. Être EN vie. 

La compagnie regarde l'animal humain entre tendresse et posture scientifique. Elle trahit la confidentialité d'une mécanique sociale tacite en met en scène les ambivalences de ses actions singulièrement banales. Elle met en scène les ambivalences de nos actions en dévoilant une mécanique sociale parfois confusément intégrée à nos vies.

La directrice artistique, Nadège Guenot, prend le parti de penser que la vie se joue entre schémas et fantasmes. Ces structures imprégnent les relations entre individus et fondent des sentiments, des pensés que l'on se raconte volontiers comme personnelles et évocatrices d'une individualité propre. La personnalité, notre personnalité, notre morale, des bons et des mauvais sentiments, la bravoure des héros et des héroïnes que l'on choisit, les responsabilités auxquelles on trouve un sens, le devoir du devoir, jusqu'à ce que l'amour n'en finisse pas, la patrie qui régit, la frustration qui embrase, la culpabilité qui renfrogne,... 

Le corps parle aussi. L'audacieux nous contredit, désavoue nos quêtes parfois bien intérieures. Il veut sa place. Il se montre adroit, libertaire, à côté de ses pompes. Il improvise quelques maladresses, chamboule des plans sur la comète, se coince aux entournures, se fige de stupeur, contracte sa colère, transpire de la rage, plisse de doutes, se fond de plaisir. Instinctif. Langage primaire, non pas sommaire, primale. Qui arrive avant. Qui dit tout de go, franc de collier. Puis viennent nos efforts élégants, nos effets grégaires.

Perpétuellement en questionnement quant au fonctionnement de la communication et les règles tacites qui régissent nos relations, elle dit: "J'aime confronter l’être moral, responsable que nous souhaitons être et l'animal indocile, le feu follet en état perpétuel d'urgence, dont les besoins fondamentaux, la vitalité, ne s’embarrassent pas de concepts mais exigent d’être satisfaits. Les agissements  anecdotiques, les paroles récurrentes, les actes insignifiants m'apparaissent souvent comme intrigants. En d'autres termes, je trouve que l'évidence est rarement de mise quand il s'agit de comprendre le fonctionnement des bipèdes que nous sommes. Les contradictions s'agitent autour de moi, elles font la cohue, elles bruissent de trop et c'est en les matérialisant sur une scène que parfois elles acceptent de se faire plus discrètes, laisant ainsi la place à d'autres interrogations."


Ils/elles en pensent

FRANÇOISE ROCHE

Metteuse en scène, comédienne et professeure d’art dramatique.

Nadège Guenot, avec Instincts grégaires, saison 1 a produit un travail exigeant tant sur le plan de la composition scénographique que celui de la direction d’acteurs. Une réflexion dramaturgique percutante, et beaucoup de créativité dans les moyens mis en oeuvre. Nadège Guenot est une artiste à la confluence des arts plastiques, du théâtre et de la danse.

 

STÉPHANE AUVRAY-NAUROY

Comédien, metteur en scène, auteur et professeur d’art dramatique.

Nadège Guenot a initié avec Instincts grégaires, saison 2 un travail d’une très grande pertinence et d’une très grande délicatesse. Pertinence parce que la violence du propos était claire : notre incapacité à recevoir l’autre, consécutive ment à notre incapacité à exister face à l’autre. Délicatesse parce que le discours n’est pas tenu, dit ou exprimé comme tel, mais suggéré par une mise en scène précise, ludique et merveilleusement chorégraphiée.

Un théâtre d’images et de sons qui privilégie le corps de l’acteur : Nadège Guenot sait ce qu’elle veut dire et invente vraiment sa forme théâtrale pour le faire entendre.

 

MATHIAS CLAEYS

Auteur, metteur en scène pour la Cie MKCD31, auteur et critique pour le théâtre

Le plateau comme expérience de la cité. Dans la forme courte Instincts grégaires, Saison 2, créée dans le cadre de l’Ecole Auvray- Nauroy, Nadège Guenot interroge le groupe humain en axant son propos sur deux variables :

la gestion de l’espace commun, et la confrontation à l’autre dans son individualité.Ça aurait presque l’air d’un travail universitaire. Et ça n’en est pas si éloigné que ça. Comme un spectacle qui étudie, qui met en lumière d’une manière aussi claire et précise que brute.

Le propos est dans ce questionnement et ne s’en éloigne pas. C’est très bien. Le danger qui guette, dans cette approche presque scientifique du propos, c’est de tomber dans le dogmatisme, dans la réflexion aboutie qui donne ses enseignements.

Bien heureusement, l’écueil est soigneusement évité, et c’est bien un questionnement qui est mis en scène, une curiosité même, et non sans humour.

Pour parler de l’objet en lui-même, il est important de noter la clarté de la mise en scène. Ils sont cinq sur scène, chacun, on s’en rendra compte au fur et à mesure, proposant une individualité propre (sans tomber dans le stéréotype, quelle veine !). Le plateau

est presque nu, la lumière proposée est simple et sans effet (à part cette ouverture à la Pommerat, suite de noirs elliptiques avec des acteurs qui apparaissent comme par magie, une tentative très réussie de capter l’attention et d’attiser la curiosité en quelques secondes). Un bruit de temps qui passe nous accompagnera, plus ou moins oppressant, qui met très simplement tout le monde sur le même plan : le temps est le même pour tous.

Les acteurs tournent en rond, se démarquent par des gestes, butent sur un banc, puis sur un autre qu’ils déplacent, configurent l’espace  jusqu’à arriver entassés sur les deux bancs au milieu du plateau. Après le langage du corps, celui de la parole (quand on ne sait plus comment se démarquer sans l’ouvrir, bien sûr, on se met à discourir). Les textes, Nadège Guenot les a volés à la vie quotidienne.

On retiendra surtout le discours de la femme sans-emploi, bien connu, ou celui sur la société des abeilles, démontrant en un rien de temps que bien des bêtes se débrouillent mieux que nous en matière de sociabilité. Instincts Grégaires – Saison 2 est un objet théâtral assez inédit, concis et intrigant, qui nous invite à regarder autrement les places publiques et le métro (par exemple), et met en lumière ce qu’on savait plus ou moins sans jamais se le dire : on ne saurait être seul et on ne sait pas (trop) être à plusieurs. Avec une question en filigrane:

alors, on fait quoi ?